03 novembre 2006

Extrèmement fort et incroyablement près, dit J. Safran Foer

il m'est arrivé quelque chose hier, un truc magique. Un fantôme est revenu, une étoile s'est rallumée.
On s'est retrouvé.
Dans une vie précédente, plus rock 'n roll qu'aujourd'hui, j'avais rencontré F. Une soirée ratée, organisée par une chaine de tv. Le champagne coulait à flot, on en avait même piqué quelques bouteilles, et on s'était échappé en riant. Il était arrivé de nulle part, comme un fantôme. Beau comme le jour, touché par la grâce et abimé par la vie. Il a foncé vers moi, on s'est cherché avec des mots, on a volé le champ', et on a beaucoup rit. Début de l'histoire.
Comment vous parler de F.? F c'est la vie "rock'n roll", le looser magnifique, et l'intelligence du désespoir. Un esprit brillant, un corps détruit, des yeux bleux comme la mer le long des côtes bretonnes, et un charme fou. La came, la vie déconstruite, les amours fanées. Chelsea hotel à lui tout seul. F s'abîme avec le monde, mais on ne vit qu'une fois.
Dire que j'étais amoureuse, ce serait être loin de la réalité. Il y avait autre chose. Il y a 10ans, je pouvais me brûler les ailes avec une volonté farouche et une fraicheur sans égale. Mais il y a quelque chose de plus entre nous, un rapport étrange, comme s'il avait voulu me protéger. Quelque chose ni platonique ni vraiment sexué. F et moi ça n'a même pas été une histoire, mais un moment très court qui vous marque pour la vie. Des gestes, des paroles, des délires et des affres. La dernière fois que je suis passée chez lui, il n'est jamais arrivé. Je suis partie avant son retour, A et M, pas encore connus, assis avec moi dans son salon.
Et puis il a disparu. Plus de nouvelles. Plus de téléphone, d'appart, rien. Plus traces de vie. Disparu.
Pendant des années, j'ai pensé à lui. Je me disais qu'il était en Afrique, qu'il avait changé de vie. J'aurais pu appeler ses potes, mais très vite je les ai perdu.
Ce garçon, connu comme le loup blanc, n'apparaissait plus nulle part ailleurs que dans mon esprit. Et puis peu à peu, la vie reprend ses droits, je me disais que nos chemins s'étaient séparés. Avec le temps, j'ai commencé à croire qu'il était mort. Overdose, maladie, accident de moto, il avait pu choisir celle qu'il voulait, il avait une chance folle pour chacune.
Il y a quelques mois, j'ai croisé son pote, avec lequel je l'avais rencontré. J'ai pas osé lui demandé, j'ai eu peur de la réponse. Moi, certaines fois, je lui imaginais une mort à la Rimbaud, c'etait plus joli que tout le reste.
Et puis, il ya 2 semaines, j'ai vu son nom. La terre s'est ouverte sous mes pieds. J'ai investigué. Pas question de ressusciter les morts comme ça. J'ai un contact, qui me confirme l'info, et qui me pousse à l'appeler. Doucement, on recupère pas 10 ans comme ça. Tu vois, dans ce cas, la vie te saute à la gueule, et te lamine. Tes choix, tes envies, tes échecs et tes reussites t'explosent au visage. Faut être fort pour ça, et là c'est pas le bon moment. Silence radio pendant 10 ans, alors quelques semaines...
Oui mais voilà, mon contact a parlé.. Et jeudi 2 novembre, mon téléphone a sonné. Je suis restée stupide devant le nom affiché. Stupide et figée. Puis j'ai décroché. Ca a été super rapide. Comme si on s'etait quitté la veille. Sa voix n'a pas changé. On a pris rdv pour le dej. et on a raccroché.
Je suis restée assise, bouche bée, joyeuse, légère, transie. Un tour au toilettes, pour voir si j'avais plus veillis en 3minutes qu'en 10ans, si mes rides sont jolies (bof), et si mes kilos en trop sont cachés aujourd'hui. Et puis, la question, est-ce qu'il va me reconnaitre, et moi, comment je vais le reconnaitre?
Ensuite? Ensuite, je suis arrivée à peine en retard au rdv. J'esperai qu'il serait déjà là. A quelques mêtres du resto, j'ai vu un homme hésiter, tourner autour, il avait les yeux bleux mer du sud. J'ai pensé, tiens, et si c'était lui?. Je suis rentrée, en me disant que si c'était lui, il rentrerai à son tour. Mais il était là. Et dès que j'ai vu ses yeux, son sourire, j'ai su. C'était le grand retour. On a repris nos marques. On a bu, on a parlé de tout, de rien. Il a dit, j'ai raté ma mort, alors il a fallu continuer à vivre. Pas besoin d'en dire plus, une phrase, un mot, l'essentiel. Tout était à nouveau là. Une douceur, un attachement, une tendresse. Un retour délicat, comme un tableau de Balthus. On a pas fait les vieux cons, et débalé nos souvenirs. On a pas parlé de nos vies personnelles, il a juste dit, ma vie est plutôt vide en ce moment. J'ai pas relevé, juste souri. Et on a parlé de tout, de l'état du monde, de l'état de la culture, et même de l'état de son corps.
On s'est gentiment fait virer du resto. On a parlé encore dans la rue. On a eu du mal à se quitter. On s'est dit au revoir plusieurs fois, je lui ai dit à quel point j'étais contente de le revoir, vivant. Il m'a pris dans ses bras. L'étreinte des aux-revoirs. On a pas échangé nos portables. On ne sait pas quand on se revoit. Si on se revoit. Un fantôme est de retour.
"..Quand on oublie, hélas,
je n'ai pas vu le temps passer
Les soleils se coucher
Etre en vie n'est jamais trop ni assez"
Et pour bercer tout ça, la sublime voix de Catpower, pour la sensualité balancée de the greatest

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